Un terme qui fait peur. Qui fait fuir lorsqu'on l'entend, car il fait penser aux pervers narcissiques. Et pourtant, ce n'est pas (que) cela ...
Que cela soit dans mon entourage, avec mes patients, et moi-même, ça m'est arrivé aussi. Je ne connais personne qui ai fait exception. (Les déceptions amoureuses font partie de notre construction et de notre apprentissage en tant qu'humain).
Il s'écoule souvent bien du temps avant qu'on ne se rende compte de l'emprise, avant qu'on accepte de voir les choses en face, et avant qu'on accepte d'admettre que l'autre a été (ou est) toxique, et/ou que nous le sommes devenus nous aussi !

Pourquoi ?

Parce qu'être sous emprise, c'est vivre les choses de façon tragique mais également avec énormément d'intensité, et par extension, c'est se sentir vivant. C'est aussi parfois ne voir la relation qu'en fonction de ce qui nous fait du bien, en omettant toute la souffrance. C'est mettre dans la balance d'un côté des miettes, un inconfort émotionnel, une insécurité profonde, et de l'autre, quelques minutes ou au mieux quelques heures de plaisir, de magie amoureuse, de besoins comblés de façon éphémère mais puissante. En gros, c'est le "fuis moi je te suis...".

Il faut être idiot pour se satisfaire de ce déséquilibre, me direz-vous ?

En fait non, pas du tout. Je dirais même que tout le monde peut tomber dans le panneau, et devenir un jour le manipulateur ou une autre fois le manipulé. J'en suis persuadée. Je l'ai vécu. Des deux côtés de la balance. Involontairement.

Comment on se rend compte qu'on est manipulé ?

Lorsqu'on n'arrive pas à se respecter soi. Que les besoins de l'autre (ses prétextes souvent aussi) sont devenus la priorité. Et ses propres besoins à soi ne sont pas entendus. Que le mal-être, voire l'humiliation ou la trahison, sont devenues une routine bien trop familière.

Pourquoi on en vient à se faire manipuler ?

Parce qu'en réalité, on ne le voit pas venir. Au début , tout est parfait, idyllique, on sent que l'autre est sincère dans ses intentions voire sentiments (ou on le croit sincère). Parce qu'on a envie d'imaginer que l'amour est plus fort que tout, et qu'on saura tôt ou tard, retrouver ce sentiment de "lune de miel". Parce qu'on garde tous quelque part en nous, l'illusion qu'il existe pour chacun la personne parfaite et idéale. Parce qu'on a tous des moments de vulnérabilité, et qu'une seule rencontre suffit à tout faire basculer. Parce que certains sont en dépendance affective. Parce qu'on a l'illusion que, perdre ces miettes, c'est perdre tout, et que ces miettes d'amour reçues,  c'est toujours mieux que rien. (Eh oui, nous avons tous des fragilités, des failles dans notre confiance en nous). Parce que ce qu'on connait nous rassure, même si c'est insatisfaisant, contrairement à l'absence et au vide.

Pourquoi on devient le manipulateur ?

Parce qu'on n'arrive pas à s'investir, à dire la vérité  sur ce que l'on ressent (par peurs, souvent de blesser, ou de montrer ses zones d'ombres , ou d'être dans le conflit), à s'engager vraiment dans la relation (dû à un contexte ou un passé difficile), à choisir, à discerner ce qui sonne comme un red flag. Parce qu'on ne veut pas renoncer au beurre, et à l'argent du beurre, et que la personne en face semble apte à le comprendre et/ou le tolérer. Alors on tire sur la corde, on négocie, on retourne la situation pour ne pas perdre ses privilèges (parfois par orgueil).

Or, dans les deux cas, c'est pour moi, un manque de respect. Envers l'autre bien entendu, mais aussi et avant tout envers soi. Quel que soit le camp auquel on appartient, aucune place n'est confortable, et ne permet l'épanouissement. On devient toxique pour l'autre (même en étant une belle personne), et donc pour soi. Et c'est ça qui doit alerter. Un manipulé peut devenir manipulateur, par effet de punition. Mais quoi qu'il en soit, si une relation ne permet pas de se sentir en sécurité, c'est qu'il existe un dysfonctionnement (et donc potentiellement une emprise). Je ne parle pas de se sentir heureux, ou même épanoui. Je parle de la base, des fondations de la relation : la sécurité. La sécurité émotionnelle, affective, amoureuse. Et elle est basée sur des composantes, qui divergent selon les théories. On entend parler des 3 A : Affection, Admiration et Attraction. On peut lire également des choses sur les 5 R : Respecter, Rêver, Rire, Rassurer, Rayonner. De tout celà, j'en ai fait un condensé qui selon moi, représente les 4 fondations essentielles, comme celles d'une maison, pour y construire la relation/le foyer qui nous correspond. Les 4C pour moi, ce sont: la Communication, la Confiance, la Complicité et la Connexion.
Certes, aucune relation n'est parfaite. Et aucune relation n'est linéaire au fil du temps. Mais si ces fondations sont ébranlées pendant longtemps, et/ou qu'elles ne permettent pas la sécurité, alors c'est qu'il existe un vrai problème, et un risque inévitable que la douleur émotionnelle s'installe, de toutes les façons possibles et imaginables. Et c'est là que commence l'emprise.

Des exemples ?
J'en ai plein les tiroirs ! Mais on peut parler de l'homme marié qui a une maîtresse, et qui lui fait croire monts et merveilles pour la garder sans jamais s'investir vraiment. Il y a également la femme, pourtant exclusive, qui ne sachant pas choisir entre deux hommes, leur laisse penser qu'elle veut rester dans un polyamour éternel. Je pourrais également parler de ce vieux couple qui se déchire violemment mais refuse de se séparer pour des raisons d'éducation, d'habitude ou de matériel. Je pense aussi à ce jeune couple qui imagine que faire l'amour est une question de fréquence sexuelle, de nombre de positions et de durée d'action, sous contrôle des injonctions. Le lien de ces situations : l'emprise.

Pourquoi ? Parce que ce sont leurs frustrations, en opposition à leurs joies passagères qui leur donne espoir. L'espoir que ça aille mieux, de se sentir sécurisé, que les choses peuvent évoluer (et elles le peuvent parfois), que l'on peut changer l'autre pour se sentir plus apaisé.

Alors mon conseil sur l'emprise, c'est d'écouter ses red flag intérieurs. Si on sent que quelque chose nous dérange, il est important de pouvoir communiquer à ce sujet avec l'autre, et de pouvoir apporter ensemble des réponses tangibles. Trouver un moyen d'avancer ensemble, c'est retrouver un alignement intérieur. Choisir c'est renoncer. Alors se choisir soi, c'est passer parfois par des décisions difficiles, mais dans son propre intérêt. Car avec le temps, lorsqu'on se choisit  soi, l'affirmation renaît, l'équilibre intérieur retrouve sa place, la confiance en soi évolue : on devient un meilleur humain,  capable de s'apporter bienveillance et douceur, qui attirera alors de nouvelles (et belles) rencontres inattendues !